L’intelligence artificielle accélère la transformation du monde… mais aussi certains impacts invisibles. Les centres de données, indispensables à son développement, utilisent des composés chimiques appelés PFAS. Durables dans les machines comme dans la nature, ces “polluants éternels” rappellent que la durabilité du numérique ne peut plus se limiter à la seule question de l’énergie.
L’essor de l’IA et des data centers : un défi énergétique et environnemental
L’explosion de l’IA générative et du cloud computing a fait bondir la demande mondiale en data centers. Ces infrastructures, qui hébergent des millions de serveurs traitant des données 24h/24, représentent déjà près de 4 % de la consommation d’électricité mondiale. Leur fonctionnement exige d’immenses quantités d’énergie pour alimenter les processeurs et maintenir une température stable. Or, ce refroidissement nécessite aussi des millions de litres d’eau et des substances chimiques spécifiques, souvent peu encadrées.
Aux États-Unis, certains réseaux électriques peinent à suivre la cadence, retardant la transition vers les énergies renouvelables. À cela s’ajoute désormais une pollution d’un autre genre : celle des PFAS, des substances omniprésentes dans la technologie moderne.
PFAS : les “polluants éternels” du numérique
Les PFAS (per- et polyfluoroalkyles) regroupent plus de 16 000 produits chimiques utilisés depuis les années 1950 pour leurs propriétés anti-chaleur, anti-eau et anti-graisse. On les retrouve dans les emballages alimentaires, les textiles… et désormais, dans les infrastructures numériques.
Pourquoi sont-ils utilisés ?
Les PFAS interviennent dans :
- Les gaz fluorés servant au refroidissement des serveurs,
- Les revêtements de câbles, tuyauteries et équipements électroniques,
- La fabrication des semi-conducteurs qui alimentent l’IA et le cloud.
Ces substances sont prisées pour leur efficacité, mais leur stabilité chimique est précisément ce qui les rend dangereuses : elles ne se décomposent pas dans l’environnement. Résultat : elles s’accumulent dans l’air, l’eau, les sols… et les organismes vivants.
Des impacts sanitaires et environnementaux majeurs
De nombreuses études associent les PFAS à des cancers, troubles hormonaux, maladies rénales, malformations congénitales et à une diminution de l’immunité. Certaines usines, comme celles du producteur Chemours en Virginie et en Caroline du Nord, ont été accusées de polluer durablement les ressources en eau locales. Pourtant, la production de gaz fluorés s’intensifie, portée par le boom de l’IA et des centres de données.
Les data centers, nouveaux vecteurs de pollution chimique
Si les enjeux énergétiques des data centers sont désormais bien connus, la question des émissions chimiques reste un angle mort du débat public.
Refroidissement et gaz fluorés : une équation complexe
Les data centers utilisent deux grands types de systèmes :
- Le refroidissement par eau, très consommateur de ressources hydriques,
- Le refroidissement “biphasé”, où des gaz fluorés (souvent à base de PFAS) circulent dans des tubes de cuivre.
Ces gaz ne sont pas censés s’échapper, mais des fuites inévitables ou une mauvaise gestion en fin de vie peuvent libérer des substances nocives. Une fois dans l’air, certains se transforment en TFA (acide trifluoroacétique), un composé considéré comme PFAS dans la plupart des pays, sauf aux États-Unis. Des études récentes montrent que le TFA est plus toxique qu’on ne le pensait et se concentre déjà dans les eaux et le sang humains.
Une absence de transparence inquiétante
Ni Google, ni Amazon, ni Microsoft ne publient à ce jour le volume de PFAS utilisés dans leurs centres. Aucun test systématique de pollution n’est imposé, et les entreprises ne sont pas tenues de déclarer leurs rejets. Selon l’organisation Earthjustice, « cette question a été dangereusement sous-étudiée alors que l’industrie construit des centres à un rythme effréné ».
Le paradoxe du numérique responsable
L’essor de l’IA s’accompagne d’une promesse : celle d’un progrès au service de la société et de la transition écologique. Pourtant, sans une approche globale de ses impacts, le numérique risque de reproduire les erreurs du passé industriel.
Le “cloud vert” a-t-il un angle mort ?
Les grandes entreprises communiquent sur des data centers “zéro carbone” ou “alimentés en énergie renouvelable”. Mais ces bilans se concentrent souvent sur les émissions de CO₂ et négligent les pollutions non carbonées chimiques, hydriques ou minérales.
Résultat : un décalage croissant entre la perception de durabilité et la réalité environnementale.
Vers une approche plus complète de la responsabilité numérique
Le numérique responsable ne se limite pas à la sobriété énergétique. Il suppose d’intégrer l’ensemble du cycle de vie : conception, fabrication, exploitation, fin de vie, et désormais, chimie industrielle. C’est une transformation systémique, où les acteurs du conseil comme IJO accompagnent les entreprises pour auditer, mesurer et réduire leurs impacts cachés.
Transparence, régulation et responsabilité
Face à la montée des inquiétudes, certaines institutions réagissent. Aux États-Unis, des États comme le Minnesota travaillent sur des lois obligeant les entreprises à rendre compte de leur usage des PFAS dans le refroidissement et la fabrication électronique.
L’Environmental Protection Agency (EPA) a également annoncé l’accélération de ses examens sur ces produits chimiques.
En Europe, un cadre plus strict en préparation
L’Union européenne pourrait aller plus loin avec les régulations REACH et CSRD, qui imposent aux entreprises de publier leurs impacts environnementaux complets. Les entreprises technologiques opérant en Europe devront probablement inclure les PFAS dans leurs rapports de durabilité d’ici 2026.
L’enjeu de réputation et de gouvernance
Pour les géants du cloud comme pour les acteurs B2B, la transparence devient un facteur de confiance. Les entreprises qui anticipent ces obligations – via des audits, du reporting et des innovations propres seront mieux positionnées dans la transition numérique durable.
Quelles solutions pour un numérique sans PFAS ?
- Mesurer l’impact caché
Mettre en place un audit environnemental IT incluant les substances chimiques utilisées dans les équipements et infrastructures. Cela permet d’évaluer les risques liés aux PFAS, mais aussi aux autres composés à haute persistance environnementale. - Explorer des alternatives techniques
Certaines innovations émergent :
➡️Refroidissement par immersion dans des fluides naturels (non fluorés),
➡️Technologies adiabatiques limitant l’usage d’eau et de gaz,
➡️Matériaux alternatifs pour les câbles et composants. - Favoriser l’économie circulaire numérique
Les data centers génèrent aussi d’importants volumes de déchets électroniques. Promouvoir le réemploi des serveurs, la réparation et une gestion responsable de la fin de vie permet de limiter la diffusion de substances toxiques dans l’environnement. - Former et gouverner autrement
Une culture de transparence et de responsabilité numérique doit être instaurée à tous les niveaux : direction, achats, IT, RSE. C’est aussi un levier d’innovation : la durabilité devient un vecteur de compétitivité et d’attractivité.
Conclusion :
Les révélations sur les PFAS montrent que la durabilité numérique ne peut plus se réduire à une question de CO₂. L’impact du numérique sur la planète est systémique, mêlant énergie, eau, ressources et chimie. Les entreprises qui sauront anticiper cette complexité prendront une longueur d’avance, tant sur le plan environnemental que stratégique.
Chez IJO, nous croyons qu’un numérique éthique et performant repose sur trois piliers : mesurer, réduire et rendre visible ce qui ne l’est pas, car un numérique vraiment responsable est celui qui ne laisse aucune empreinte cachée.
FAQ
Que sont les PFAS et pourquoi sont-ils appelés “produits chimiques éternels” ?
Ce sont des composés fluorés synthétiques extrêmement persistants dans l’environnement, utilisés pour leur résistance à la chaleur et à l’eau. Ils s’accumulent dans les sols, l’eau et le corps humain, entraînant divers problèmes de santé.
Quelles sont les solutions pour réduire cette pollution ?
Utiliser des fluides de refroidissement alternatifs, renforcer la transparence, adopter des pratiques de recyclage responsables et auditer l’ensemble de la chaîne de valeur numérique.
Comment les entreprises peuvent-elles agir ?
En intégrant les PFAS dans leurs bilans environnementaux, en exigeant des fournisseurs des informations sur l’utilisation des produits chimiques et en s’engageant dans une stratégie de numérique responsable.
Pourquoi les centres de données sont-ils concernés ?
Ils utilisent des gaz fluorés à base de PFAS pour le refroidissement des serveurs et dans leurs équipements électroniques, ce qui entraîne des émissions directes et indirectes.