1. Introduction
Le numérique représentait en 2018 entre 3 et 4% des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial[1]. Avec une augmentation de près de 8% par an, il pourrait devenir dans les prochaines années un des secteurs les plus émetteurs de GES. Ces émissions proviennent majoritairement de la consommation en énergie (souvent fossile) des équipements informatiques, pendant la phase d’utilisation, mais également, et cela est souvent sous-évalué, durant la phase de production. En effet, selon les dernières études, 55 à 75% des émissions de GES[2] proviendraient de la phase de production de ces équipements, et de fait, demeure un enjeu très important autour du renouvellement de nos matériels IT. De cela découle naturellement la question de la durée de vie des équipements IT : nous en changeons souvent, trop souvent.
Cette thématique est d’autant plus à l’ordre du jour que l’explosion des usages numériques (le développement des plateformes de streaming en tête) est corroborée d’une augmentation drastique du nombre d’équipements informatiques en circulation. En Europe occidentale, le nombre moyen de matériels s’élevait à près de 9 par personne en 2021 selon l’ADEME, contre un peu plus de 5 en 2016[3]. En parallèle, l’IoT (Internet des objets, et plus globalement tous les objets connectés) se développe à très grand pas et participe à la multiplication des équipements utilisés pour nos usages personnels et professionnels.
2. Etat de l’art sur la durée de vie des équipements informatiques
Le constat posé, une première question se pose : à quelle fréquence renouvelons-nous véritablement nos équipements informatiques ? Des études et benchmarks nous permettent de suivre l’évolution de nos pratiques sur ces dernières années, et d’observer, notamment, que les évolutions technologiques majeures entrainent systématiquement une diminution de la durée de vie des équipements. Lors du passage des écrans cathodiques (CRT) aux écrans plats (LCD), les télévisions ont vu leur durée de vie diviser par 2 en moyenne[4] (10 à 12 ans de durée de vie dans les années 90 contre moins de 6 ans mesurée en 2015). De la même manière, le remplacement des PC-fixes par des ordinateurs portables a drastiquement fait chuter la durée de détention moyenne des terminaux (11 ans dans les années 90 contre moins de 5 en 2017). Enfin, et non des moindre, le passage du téléphone mobile au smartphone : autrefois conservé près de 10 ans en moyenne, nos téléphones sont aujourd’hui remplacés tous les 2 ou 3 ans[5].
On observe toutefois, une légère augmentation des durées de vie ces dernières années, peut-être dû à une maturation des technologies rendant ainsi les équipements un peu moins fragiles et donc un peu plus durables. Néanmoins, les valeurs mesurées restent bien en-deçà des standards d’il y a une trentaine d’années.
Si les évolutions technologiques génèrent une certaine « fragilité » de nos équipements, les défauts et pannes matérielles sont-ils véritablement la principale cause de renouvellement de nos matériels informatiques ?Avant toute chose il convient de définir les principaux types d’obsolescence que l’on observe dans le secteur du numérique, i.e. les principales causes de renouvellement d’un équipement :
- L’obsolescence matérielle,comme évoqué ci-dessus, désigne le fait qu’un équipement soit inutilisable (ou plus adapté au besoin) du fait de défauts ou de pannes touchants ses composants matériels (ex : écran brisé, batterie vieillissante, etc.).
- L’obsolescence logicielle quant à elle désigne le dépassement d’un équipement pour des raisons d’exploitation ou de performance vis-à-vis des applications installées.
- L’obsolescence perçue (ou psychologique) se caractérise par une dévaluation ressentie des équipements du fait de l’« effet de mode ». L’équipement, bien qu’étant tout à fait fonctionnel, est changé car l’utilisateur.rice à la sensation que celui-ci ne répond plus à son besoin, cela étant souvent généré par des changements fréquents des gammes et les coups marketing des fabricants et revendeurs.
Bien que peu d’études rigoureuses soit aujourd’hui disponibles sur ce sujet, il semble que les équipements informatiques soient rarement remplacés pour des raisons matérielles. On sait toutefois que 88% des Français.es changent leur smartphone alors que celui-ci fonctionne encore[6]. Les quelques chiffres à disposition semblent mettre en lumière le fait que l’alourdissement des logiciels est désormais la première cause d’obsolescence pour les équipements informatiques[7], et que d’une manière plus générale, l’obsolescence logicielle serait la première cause de renouvellement pour les terminaux classiques (téléphones, ordinateurs, tablettes, etc.) loin devant l’obsolescence matérielle.
Figure 1. Exemple d’un cycle de vie complet pour un équipement donnéSource : interne IJO |
La durée de vie d’un équipement ne se limite pas à sa durée de détention par un.e acteur.rice donné.e (une entreprise par exemple). La durée de vie d’un équipement englobe l’intégralité des phases de détention de l’équipement par un.e utilisateur.rice à l’intérieur d’une même organisation (on parle de réemploi), mais également dans des organisations différentes (on parle alors de réutilisation), ainsi que toute les phases de non-utilisation. L’équipement peut parfois passer en statut de déchet avant d’être réutilisé par un tier (cf. Figure 1 pour un exemple de cycle de vie complet pour un équipement donné).
Au vu du cycle de vie présenté ci-dessus, on distingue trois principaux leviers pour augmenter la durée de vie totale d’un équipement, à savoir :
- L’augmentation de la durée d’usage par utilisateur.rice – on cherche à utiliser l’équipement le plus longtemps possible tant qu’il répond à notre besoin ;
- L’augmentation du nombre d’utilisations – on vise ici à encourager le réemploi et la réutilisation de l’équipement, soit lui donner « une seconde vie » ;
- La réduction du nombre et de la durée des phases de stockage, i.e. les périodes d’inutilisation de l’équipement. Cela peut se faire en optimisant les stocks ou encore en accélérant le déploiement de l’équipement.
3. Les bénéfices de l’augmentation de la durée de vie ne sont pas qu’environnementaux
L’extension de la durée vie des équipements informatiques a naturellement des effets bénéfiques sur les émissions de GES à long terme. Comme expliqué précédemment, la phase de production du matériel informatique concentre la majorité de son empreinte carbone. Ainsi, le fait de les conserver plus longtemps réduit la fréquence de renouvellement ce qui implique naturellement une diminution des impacts au global (car besoin de moins produire d’équipements en amont). On notera également qu’au-delà de l’empreinte carbone, l’allongement de la durée de vie des équipements permet de réduire la pression sur les ressources minérales et fossiles, de limiter les effets d’eutrophisation et les radiations ionisantes, ou encore de diminuer l’appauvrissement de la ressource en eau.
Pour revenir au sujet de l’empreinte carbone des équipements, l’extension de la durée de vie apporte des gains certains, mais variables, selon le type de matériel considéré. Quelques exemples avec des équipements informatiques couramment utilisés et des scénarios d’allongement réalistes, en considérant un amortissement des impacts sur l’intégralité de la durée de vie :
Figure 2. Variations de l’empreinte carbone de trois produits courants selon leur durée d’utilisation
Pour ces calculs, des hypothèses d’utilisations professionnelles et des modèles standards ont été utilisés.
Ce type de pratiques n’apporte pas uniquement des bénéfices environnementaux. En effet, on constate de très belles opportunités sur le plan économique avec une réduction des immobilisations et des dépenses sur le matériel informatique. En outre, l’allongement de la durée de vie des assets permet une résilience plus forte face aux fluctuations des prix et aux délais de livraison variables des équipements.
4. Repenser le modèle de gestion des équipements
Une fois le constat posé, il convient désormais de discuter des moyens d’allonger la durée de vie des équipements informatiques sans détériorer les conditions de travail des utilisateurs.rices ni apporter de nouvelles contraintes opérationnels. Pour cela, il est nécessaire de repenser le modèle de gestion des équipements, c‘est-à-dire de passer d’une approche linéaire (économie du bien) à une approche circulaire aussi appelée « économie de fonctionnalité » (voir Figure 3 pour le détail de ces approches). La différence majeure entre ces deux modèles réside dans la relation avec l’équipement lui-même. Dans une approche circulaire, le bien en lui-même n’a pas de « valeur », seules comptent les fonctions que remplit ce matériel. Ceci amène de nombreuses questions autour de la définition du besoin, de l’allocation et de la mutualisation des équipements, ou encore du réemploi de certains équipements, qui doivent être traitées et considérées dans le cadre d’une économie de la fonctionnalité.
Figure 3. Schéma comparatif de deux approches économiques de gestion des équipements informatiquesSource : interne IJO |
L’exemple du reconditionné
Une fois l’approche repensée et le rapport aux équipements révisé, de nombreuses actions peuvent être mises en place. Nous nous concentrerons ici sur le cas, très intéressant, du matériel reconditionné.
Alors que la filière du reconditionné, en particulier dans le domaine de l’informatique, présente de multiples avantages comparée aux achats de produits neufs, une grande partie des organisations privées et publiques sont aujourd’hui réticentes à l’idée de se fournir avec du matériel qui a déjà été utilisé.
Selon un sondage réalisé par la société Keeep en 2022[8], les professionnels confirment que le reconditionné présente des avantages financiers et opérationnels évidents (coûts drastiquement plus faibles, rapidité de livraison). L’achats de ce type de matériel permet en outre de favoriser l’économie circulaire (souvent locale) et parfois même de répondre à des obligations légales (loi AGEC pour les établissements publics, par exemple). Toutefois, seuls 36% de ces professionnels l’envisagent aujourd’hui. Les principaux motifs évoqués sont l’absence de fournisseurs spécifiquement dédiés aux entreprises, l’offre trop restreinte, ou encore la perception d’une fiabilité inférieure à celle des produits neufs.
Sur ce dernier point, les études ont démontré que la durée de vie des équipements est généralement indépendante de la filière d’achat [9]. En d’autres termes, on garde aussi longtemps son matériel que celui-ci ait été acheté neuf ou reconditionné. Cela implique également que les motifs de renouvellement de ces équipements sont rarement fondés sur des justifications techniques ou fonctionnelles. En bref, on change d’équipement parce que « il faut en changer ».
5. Conclusion
A l’instar de cet exemple du matériel reconditionné, l’allongement de la durée des équipements informatiques nécessite souvent de déconstruire certaines idées reçues et d’envisager de nouvelles approches et concepts : que ce soit concernant l’approvisionnement, l’optimisation de la phase d’utilisation et la gestion de la fin d’usage. Dans toute organisation, de nombreuses pratiques peuvent être mises en place rapidement et aboutir à des résultats significatifs, et ainsi initier une démarche vertueuse et des changements de mentalités. Par ailleurs, l’écosystème informatique se développe rapidement sur cette thématique et de nombreux acteurs émergent pour proposer de nouveaux services allant dans ce sens (vente d’équipements reconditionnés, service de location, extension de garantie, monitoring des équipements, etc.).
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[1] Shift Project, Pour une sobriété numérique (2018)
[2] ARCEP, Pour un numérique soutenable (2021)
[3] ADEME, Équipements électriques et électroniques : données 2020 – Rapport annuel (2021)
[4] Frédéric Bordage, La durée de vie des équipements électroniques régresse (2015)
[5] GreenIT.fr, Benchmark Green IT 2020 (2021)
[6] ADEME, Garder son smartphone le plus longtemps possible (2020)
[7] Frédéric Bordage, x171 : la croissance du poids de nos logiciels (2020)
[8] Keeep, Baromètre de l’achat de produits numériques reconditionnés (2022)
[9] CREDOC, Baromètre du numérique (2021)
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